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Pour le renouveau de la politique… à la télévision

Comment peut-on être candidat à la Présidence de la République française ? C’est la question que l’on pouvait se poser en regardant sur France 2 L’Émission politique consacrée à Bruno Le Maire, candidat à la primaire de la droite et du centre. Comme les autres avant lui (et ceux qui le suivront dans les prochaines semaines), il a dû sortir épuisé de ce « Polithon » télévisuel. Le sujet n’est pas ici de débattre de sa personne et de son programme (ce qui impliquerait d’abord d’avoir lu les 1000 pages qui le décrivent…). Mais de prendre prétexte du « renouveau » qu’il cherche à incarner pour dire qu’il devrait aussi passer par une remise en cause des émissions politiques à la télévision.

Des affrontements stériles

Pendant environ deux heures, Le Maire a dû faire face à des opposants systématiques. Parfois hystériques, comme cette déléguée CGT ex Trotskiste d’Outremer, dont le seul objectif était d’insulter son interlocuteur et de l’empêcher de parler. Ou encore Pascal Jardin, que l’on a déjà vu plus empathique et objectif, venu sans nuance « casser du technocrate » en usant d’effets de tribune assez grossiers. Mais surtout faire la promotion de ses propres actions (par ailleurs louables dans leur principe) et de sa propre personne (ce qui l’est un peu moins).

L’« invité » a dû aussi affronter (comme les précédents) des journalistes dont le principal objectif apparent est de le prendre en défaut, ne serait-ce que pour montrer qu’ils font bien leur métier. En l’occurrence, il s’agissait de faire dire à Bruno Le Maire qu’il ne sera pas le Premier ministre de l’un de ses concurrents à la primaire, ou de lui faire reconnaître à toute force qu’il va enrichir les riches pour mieux plumer les pauvres.

Certes, ces affrontements ne sont pas comparables à ceux auxquels on assiste actuellement aux États-Unis. Mais la France ne pourrait-elle donner un meilleur exemple de ce que devrait être la « démocratie médiatique » et les journalistes cesser de singer l’école américaine de l’interview politique ? Et cesser ainsi d’alimenter l’impossibilité du dialogue, sans parler évidemment d’une « union nationale » que les Français appellent pourtant de leurs vœux.

Des débats asymétriques

On constate ainsi une fois de plus qu’à la télévision, le registre de l’émotion (surtout celle exprimée par les « vrais gens ») est bien plus efficace que celui de la raison (que doivent utiliser ceux qui ne s’inscrivent pas dans une démarche « populiste »). Les premiers évoquent des cas particuliers douloureux, voire scandaleux ; les seconds sont contraints de rester dans un cadre général. Les premiers parlent simplement et touchent le plus grand nombre ; les seconds ont un langage choisi, une allure de « nantis » montrant qu’ils n’ont pas connu les mêmes incidents de parcours. Au total, ces échanges « asymétriques » ne servent pas la réconciliation des Français avec les politiques ; ils tendent au contraire à entretenir leur détestation, souvent excessive, parce que dictée par la volonté de désigner des boucs-émissaires, façon de se dédouaner de sa propre responsabilité de citoyen.

Une dramaturgie digne de la Rome Antique

La nécessité d’émissions politiques (surtout avant la tenue d’élections décisives pour l’avenir du pays) est évidente. Le déroulement de certaines paraît plus discutable. Sans cesse, le candidat est « mis sur le grill », avec l’intention manifeste de le brûler, comme au temps de l’Inquisition. Sans cesse, il lui faut montrer à des interlocuteurs qui l’écoutent à peine que son intention profonde n’est pas de faire le mal autour de lui mais, sincèrement, de redresser le pays. Pour couronner le tout, il lui faut subir en fin de soirée l’humour (drôle pour le téléspectateur mais assez « vachard » pour le destinataire principal) d’une humoriste.

Puis, enfin, tombe le verdict des téléspectateurs-jurés, recueilli par un institut de sondage. Il indique si l’on a été « convaincant » ou non, et s’il a fait mieux ou moins bien que ses prédécesseurs. Comme dans les arènes de la Rome Antique, la dramaturgie atteint son comble : on sait alors si le pouce des Français est levé ou baissé. Avec la différence, importante tout de même, que sa « mise à mort » éventuelle ne sera que symbolique.

Des coups à prendre

Pour ceux qui veulent (encore) accéder à la plus haute fonction, il y a donc essentiellement des coups à prendre, des insultes à subir, des attaques souvent assez basses à endurer, souvent nourries de jugements à l’emporte-pièce. La contrepartie pour eux ne peut être l’enrichissement personnel (sauf à penser comme beaucoup de Français que «tous les politiques sont corrompus) ; chacun d’eux pourrait gagner beaucoup mieux sa vie dans le privé, sans risquer les mêmes agressions. La récompense est très rarement la gloire, surtout lorsque la situation du pays est telle qu’il sera difficile d’être l’homme (ou la femme) providentiel(le) qui pourrait le remettre sur pieds.

Reste donc pour les candidats la satisfaction de faire leur devoir en essayant d’améliorer la situation de leurs compatriotes et celle de leurs enfants. Au moins pourrait-on reconnaître à la fois l’utilité et la difficulté de la tâche, et chercher à la faciliter pour ceux qui ont le courage de se lancer, plutôt que de chercher à les détruire avant qu’ils n’aient pu essayer. Cela permettrait de ne pas décourager ceux qui sont sincères (il y en a), au profit de ceux dont les idées sont a priori moins généreuses et plus dangereuses. Il existe en effet plusieurs modèles proposés pour le « renouveau » nécessaire de la France. Aux Français de choisir celui qui leur paraît le plus utile au pays. Il serait bon qu’ils le fassent sans colère, ni « par défaut ». En prenant leurs responsabilités.

Gérard Mermet, 21 octobre 2016