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Le pari Macron

L’émergence d’Emmanuel Macron dans le paysage politique national est un événement important. A la fois révélateur de la situation difficile du pays et porteur d’espoir pour de nombreux citoyens. S’il fait la une des médias et alimente les conversations, c’est qu’il apparaît en effet comme une réponse possible (bien qu’évidemment incertaine) au vide que les Français ressentent et expriment à longueur de sondages. Un vide apparent dans de nombreux domaines : économie, vie sociale, démocratie, éducation, gouvernance, perception de l’avenir… Un sentiment diffus de déclin qui s’accroît au fur et à mesure que les perspectives d’une amélioration sensible s’éloignent, que la France est divisée, tendue et sans projet. On sait depuis Pascal que la nature a horreur du vide (même si en réalité elle en est « pleine »…) ; c’est aussi le cas de la nature humaine.

Anémie et anomie

Ce vide existentiel (généralement appelé « crise » par facilité) s’explique par l’anomie générale qui règne dans la société. Un mot qui qualifie l’absence d’un système de valeurs porteur de sens, cohérent, expliqué, accepté et partagé. Cette anomie sociétale participe largement à l’anémie économique du pays, caractérisée par une croissance ralentie et insuffisante pour résorber le chômage, un travail vécu par beaucoup comme une contrainte plutôt qu’un facteur d’épanouissement. Une inaptitude à réformer, à s’adapter, à faire confiance à l’avenir en l’inventant.

A l’origine de cette anémie, on trouve de nombreuses « exceptions » ou singularités nationales. Des atouts anciens devenus pour certains des handicaps : culture de l’affrontement ; myopie collective et déni de réalité ; égalitarisme ; culte de la « proximité » ; goût du confort ; tabou des « avantages acquis » ; esprit de résistance… Sans parler du « culte de l’exception » qui empêche une France trop attachée à son « modèle » de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, de faire comme les autres de peur de perdre son originalité. Ces caractères expliquent en grande partie notre incapacité presque chronique à mettre en question nos certitudes, nos habitudes, nos attitudes. Et à prendre un peu d’altitude. Toutes choses que propose au fond Emmanuel Macron dans ses discours. Mais pourra-t-il les transformer en actes ?

Non société et société du non

Anomie et anémie se combinent chez nous pour former une non-société, dans laquelle les liens sont distendus entre les citoyens, mais aussi entre eux et les acteurs économiques, politiques ou sociaux. On peut discuter des responsabilités qui ont conduit à cette situation. Les acteurs (ou « élites »), généralement désignés comme boucs-émissaires, ont sans aucun doute leur part puisqu’ils n’ont pas réussi, aux yeux des Français en tout cas, à « inverser la courbe du déclin », pas plus que celle du chômage. Mais ils ne doivent pas être les seuls à porter le fardeau ; on pourrait citer aussi les institutions inefficaces, les syndicats dépassés, les médias critiques et cyniques, toujours prompts à dénoncer, à alimenter ou créer des polémiques. Sans oublier les citoyens, qui ne sont pas tous et toujours de bonne foi, et dont beaucoup préfèrent accuser les autres que s’engager et participer personnellement.

Cette non société est en effet aussi une société du non, qui tend à rejeter toute réforme, dès lors qu’on cherche à la mettre en œuvre, qu’elle a un coût et implique des sacrifices personnels. Les réflexes individuels, corporatistes ou communautaires sont alors plus forts que la volonté d’adapter la collectivité au nouveau monde dans lequel elle baigne. Beaucoup regrettent en effet le précédent, plus lisible et prévisible, estimant que « c’était mieux avant », préférant le statu quo à l’aventure.

Une nouvelle donne nécessaire

Malgré tout, la plupart des Français sont conscients qu’il y urgence à « changer le système », à donner du sens à l’avenir et de l’espoir aux jeunes, à rétablir la confiance entre le pouvoir et les citoyens, à réunir de nouveau les composantes de la « non société ». Cela ne pourra se faire que par un renouvellement des idées et des comportements. Mais aussi des hommes qui ne sont pas en mesure d’en changer, prisonniers de leurs vieux schémas, de leurs contraintes partisanes et de leur manque de crédit dans l’opinion. Ceux-là devront être remplacés par d’autres, capables d’insuffler une vision plus contemporaine, d’en finir avec les vieux débats sclérosants et les postures, de proposer une pédagogie du réel et des approches nouvelles pour redresser le pays.

Cela implique de mobiliser toutes les forces, de repérer et fédérer les initiatives, de faire naître des idées, de les expérimenter. Avec la bienveillance et la participation des citoyens qui auraient la possibilité de participer au changement et ainsi de se l’approprier. Cela implique aussi la reconnaissance du droit à l’erreur, à la correction de trajectoire, donc d’un suivi et d’une évaluation objectifs.
La clé du succès réside dans la constitution d’une véritable union nationale transpartisane. Comment imaginer en effet que l’intelligence collective dont nous avons besoin puisse se situer d’un seul côté de l’éventail politique ? Un être humain privé d’un hémisphère de son cerveau éprouve de grandes difficultés à vivre. Il en serait de même d’une société qui serait gouvernée à partir des seules idées de « droite » ou de « gauche ». Deux notions que les Français ont d’ailleurs de plus en plus de difficulté à définir et dans lesquelles ils hésitent à se reconnaître.

Plus de scepticisme que d’enthousiasme

Nul ne peut dire aujourd’hui si la « marche » que propose Emmanuel Macron a une chance de se poursuivre jusqu’à sa destination finale, sans doute imaginée ou rêvée par lui, sans être jusqu’ici annoncée : l’Élysée. Ou si elle fera pschitt, comme le souhaitent ses adversaires, membres de la « vieille école », soucieux de conserver leurs prébendes et peu désireux de changer leur « logiciel » ou même de l’actualiser. Dès la création du mouvement, et plus encore depuis sa démission du gouvernement, ceux-là ont sorti leurs « petites phrases », parfois assassines lorsqu’elles émanent de la gauche. Elles s’articulent autour de trois arguments principaux : la trahison du Président (mais on verra si ceux qui l’utilisent lui resteront fidèles dans les prochains mois…) ; le bilan médiocre de l’ex ministre de l’Économie (un reproche exprimé en particulier par ceux qui l’ont empêché de faire ce qu’il souhaitait pour « libérer » l’économie…) ; son manque d’expérience politique, illustré par le fait qu’il n’a jamais été élu et qu’il a fait ses armes dans la « société civile » (ignorant le fait que cette « fraîcheur » est l’un des atouts principaux de Macron).

Quant aux politologues et observateurs « patentés », il est édifiant de constater que la plupart persistent à juger l’opération à l’aune de leur expérience et de leur connaissance de l’histoire de France, mais qu’ils oublient le contexte, qui a profondément changé. Leur conclusion peut alors souvent se résumer en une phrase : « ça ne marchera jamais, car ça n’a jamais marché ». A l’appui de cette conviction, le rappel des tentatives avortées de Michel Rocard, Jacques Delors, ou avant eux de Jean Lecanuet ou Jean-Jacques Servan-Schreiber. Leur conviction s’appuie sur un postulat : un homme sans parti ni réseau ou parrainage véritable ne peut réussir à s’imposer et à bousculer l’histoire. C’est pourtant ce qu’a fait le général de Gaulle en son temps, dans un contexte lui aussi très différent. On notera en outre que les qualités de « l’homme providentiel » dont la France a aujourd’hui besoin ne sont pas les mêmes qu’en 1958. Et que des réseaux importants peuvent se constituer rapidement à l'aide des outils numériques.

Microns contre Macron

Il serait en tout cas irresponsable et dangereux de considérer l’aventure dans laquelle Emmanuel Macron s’est engagé avec nos prismes habituels. Ou de souhaiter qu’elle s’arrête au plus tôt afin de ne pas risquer d’être submergé par la vague qu’elle pourrait déclencher. Même si elle ne va pas à son terme, elle présente un avantage évident et important : l’incitation (voire l’obligation) faite aux leaders « classiques » de modifier leurs discours, de revoir leurs programmes, de se montrer moins dogmatiques, plus clairvoyants, plus humbles. En un mot, plus « modernes ».

Il faut aussi être conscient que Macron représente aujourd’hui la seule véritable alternative au Front national pour ce qui est de transformer vraiment le système (l’« établissement » ou LRPS dénoncé par le FN). Avec l’avantage inestimable de ne pas être inspiré par une idéologie de repli nationaliste, xénophobe et anti-européen, dont on a pu voir les conséquences dramatiques à d’autres époques. Et donc, si elle convainc les électeurs, d’éviter au pays une probable catastrophe, dans un contexte irréversible de mondialisation et de révolution technologique qui rendront de plus en plus obsolètes toutes les formes de frontières.

La fermeture ne saurait donc être une réponse appropriée aux défis actuels et à venir, ce qui ne signifie pas que l’on ne doit pas se protéger des risques qu’ils représentent. L’ouverture, si elle est conditionnée et réglementée, est une politique à la fois beaucoup plus satisfaisante moralement et bien plus efficace économiquement.

Face à Macron (dont le nom l’incite peut-être inconsciemment à penser « large » et long terme), on trouvera bon nombre de « microns » (qui pensent « petit » et court terme) dans tout le spectre politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Sauf exceptions, ils feront probablement tout pour lui barrer la route, en cherchant à le discréditer aux yeux des Français. Mais ce sera in fine aux Français de décider de choisir entre les « classiques », les « populistes » et les « rénovateurs » et de s’exprimer. D’abord dans les sondages des prochaines semaines, qui orienteront immanquablement l’organisation et l’issue des primaires, puis dans les urnes en 2017. Leur vote sera une forme de pari, qui en dira long sur l’état de la société, et décidera en partie de son avenir.

Gérard Mermet (chronique publiée le 6 septembre 2016 sur le site WEDemain.fr)