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Le Grand Sommeil

 

Le déclin dans lequel nous sommes engagés était prévisible. Il est confirmé par des faits, des chiffres, et un état d'esprit général. Son existence est évidente et acceptée, ce qui est… inacceptable. C’est pourquoi j'appelle à sortir du Grand Sommeil que nous vivons aujourd’hui. Il faut le faire très vite, car le mur (ou le précipice) du déclassement durable est dangereusement proche de nous. C’est le vœu que je formule pour la France en ce début d'année 2025.

Fragiles, Tranquilles et Agiles

Certes, ce cauchemar n’est pas encore vécu par tous les Français. La majorité d’entre eux peut encore partir en vacances, changer de smartphone, acheter des cadeaux à ses enfants à Noël, économiser pour l’avenir. Mais certains, en nombre croissant, doivent restreindre leurs dépenses. Ils sont inquiets pour leur emploi, leur pouvoir d’achat, leurs fins de mois. Ils se demandent comment ils pourront financer leur passage à la voiture électrique, la mise aux normes environnementales de leur logement ou les études de leurs enfants. Les plus démunis (les « Fragiles ») n’ont ainsi guère la possibilité de penser à l’intérêt général. Ils ont de fortes circonstances atténuantes.

Je voudrais en revanche dire mon incompréhension envers les autres, ceux que j’ai baptisés les « Tranquilles » et les « Agiles ». Bien qu’informés et conscients de la situation très préoccupante du pays, beaucoup se montrent las ou indifférents devant la perspective qui est désormais celle de la France : sa mise sous tutelle par le FMI et la BCE, pour mettre de l’ordre dans ses comptes très déséquilibrés, ce qu’elle est incapable depuis des lustres de faire elle-même.

Le mauvais choix

La propension nationale à défendre des intérêts personnels et immédiats plutôt que ceux, à long terme, de la collectivité, est un mauvais choix, tant moral que pratique. Ceux qui le font devraient au contraire se mobiliser pour stopper le plus vite possible l’hémorragie de la dette, réduire le déficit de temps de travail des actifs par rapport aux pays concurrents pour relancer la production et mettre un terme à l’inefficacité désespérante de l’État.

Comment ne pas comprendre en effet que les efforts et les sacrifices qui nous seront imposés par la tutelle internationale seront bien plus douloureux que ceux que nous devrions nous ordonner aujourd’hui à nous-mêmes. L’exemple de la Grèce est à cet égard édifiant : entre 2008 et 2016, les dépenses publiques ont chuté de 32%, mais le PIB a diminué de près de 25%et les pensions de retraite ont été amputées jusqu’à 40%. Les Français, par principe opposés à toute politique d’« austérité », sauront alors vraiment de quoi il s’agit. Mais il sera bien tard. La France, qui est déjà montrée du doigt pour son déni de réalité, son incapacité à raisonner et agir, sera en plus humiliée.

Si nous ne sommes pas (encore ?) en guerre, militaire ou civile, notre patrie est clairement en danger. Les menaces qui pèsent sur elle sont de plus en plus nombreuses : environnementales ; économiques ; sociales ; démographiques ; politiques ; géopolitiques ; sécuritaires. Elles sont aussi technologiques, du fait de nos retards accumulés dans de nombreux domaines : IA, robotique, espace, biotechs… Face à tous ces défis, la France est démotivée, démunie, bientôt en faillite. Nous souffrons d’une économie en « 3D » : Dépenses ; Déficits ; Dettes. Notre « modèle républicain » est en panne. Notre administration est pléthorique et inefficace. L’Europe, qui devrait être notre moteur, notre soutien et notre avenir, est désunie, désarmée, impuissante à trouver sa place dans un monde en métamorphose. Prise en tenaille entre l’Est et l’Ouest, menacée par les nationalismes, elle a aussi besoin d’un nouveau souffle.

Agir plutôt que dormir

Malgré tout cela, nous continuons de dormir, ou de discourir de façon stérile. Et le pire est à venir si nous continuons de ne rien faire. La situation est d’autant plus grave que la plupart de nos partis politiques et de leurs « responsables » (un terme inapproprié) continuent d’attiser les problèmes au lieu de leur apporter des solutions. Essentiellement préoccupés de leur propre avenir et sûrs de détenir « la » vérité sur tous les sujets, ils sont incapables d’écouter celles des autres. Ils fixent des « lignes rouges » qui ne laissent au total aucun espace pour rassembler les forces, discuter et décider pour le bien commun, courageusement et durablement. Il faut d’urgence les remplacer par des lignes vertes, facilement et utilement franchissables.

Ce sont en effet l’égoïsme, le communautarisme et le corporatisme qui expliquent les dysfonctionnements de notre société. Il est temps au contraire de nous doter de valeurs « post-individualistes » : respect de l’autre ; empathie ; bienveillance ; défense du bien commun ; volonté de forger des « compromis synergiques » (tels que celui retenu soit meilleur que la meilleure des suggestions issues de chacun des points de vue différents).

Le réveil devrait commencer par les politiques, aujourd’hui totalement inconscients de leur mission. Ils n’ont pas été élus ou désignés pour s’occuper de leur carrière, mais pour donner à la France un avenir désirable, ou à tout le moins acceptable. Dès lors, pourquoi les débats sur l’indispensable remboursement de la dette, c’est-à-dire la réduction des dépenses publiques et l’amélioration de la justice sociale, ont-ils disparu depuis la censure du gouvernement Barnier ? Pourquoi les réflexions sur l’indispensable rapprochement du temps de travail au cours de la vie avec ce qui est pratiqué ailleurs (ainsi que celles, connexes, sur le financement des retraites) ne sont-elles plus à l’ordre du jour ? Pourquoi l’indispensable « choc de simplification » du fonctionnement de l’État n’est-il pas déjà engagé ? Pourquoi notre système de protection sociale n’est-il pas revu en fonction de nos moyens ? Pourquoi la question urgente de l’immigration ne fait-elle pas l’objet de « compromis synergiques » ? Pourquoi l’efficacité n’est-elle pas considérée comme l’une des valeurs-clés de notre République ?

Réaliser aujourd’hui un « Vive la crise 2 »

Bien sûr, on peut invoquer le poids de plus en plus lourd des « fake news », « vérités alternatives » et autres appellations du mensonge et de la manipulation des esprits. Véhiculées notamment par les réseaux sociaux, ces poisons des temps modernes, elles sèment le doute, la haine et la violence entre les individus. Elles entretiennent aussi l’incapacité à vivre et penser ensemble. Mais nous devons apprendre à « faire avec » cette avalanche de désinformation, et à exercer en permanence notre esprit critique.

Une suggestion pour terminer : il serait utile qu’un média (ou un groupe de médias) organise un événement tel que l’avait été l’émission « Vive la crise » en 1984. Notre époque est bien plus préoccupante que celle d’alors. Son titre pourrait être « Vive la République ».

Gérard Mermet, président et fondateur du cabinet d’études et de conseil Francoscopie. Dernier ouvrage paru : L’avenir est en NOUS ! (JDH éditions). Texte rédigé le 6 janvier 2025 et publié sur LinkedIN.