La rupture tranquille
Fin du premier épisode de la saga France 2017 pour les acteurs de droite. Après une primaire digne et honnête (même si elle connu parfois des moments assez rudes), les Républicains ont redoré l’image très abîmée dont souffrait l’ex UMP depuis le 18 novembre 2012. Et qui n’avait pas été effacée par son changement de nom, en mai 2015. Même si cet épisode n’a concerné qu’une partie minoritaire de la société, son déroulement et son issue témoignent de son évolution, de ses craintes, de ses espoirs et de ses ressorts.
La revanche de la démocratie
Pour les sympathisants qui avaient assisté au désastreux affrontement entre François Fillon et Jean-François Copé pour prendre la tête du parti, le traumatisme est sans doute en bonne partie atténué, sinon oublié. Vainqueur au final de la confrontation, Copé avait été accusé de tricherie. Il est désormais sorti par la (toute petite) porte, tandis que le battu d’alors a pris une éclatante revanche. Avec deux tiers des voix au second tour de la primaire, François Fillon a en outre écrasé son rival Alain Juppé. Une élection quasi « soviétique » dans son résultat, qui ne doit apparemment rien à la magouille, et tout à la démocratie.
L’histoire est en effet révélatrice de la capacité des électeurs de mettre en place, sans vraiment se concerter (même si les conversations privées et les réseaux sociaux ont joué un rôle important) une stratégie collective efficace. En l’occurrence, l’élimination sans ménagement du flamboyant Nicolas Sarkozy, qu’ils jugeaient dangereux pour le pays, par sa propension à diviser un pays qui a au contraire grand besoin d’être rassemblé. Ils l’ont fait en outre sans que les instituts de sondage puissent le mesurer précisément, même si certains signes le laissaient présager (voir chronique précédente).
Transfiguration d’un politique
François Fillon fut longtemps considéré comme le « troisième homme », longtemps à bonne distance du « face à face » annoncé entre Sarkozy et Juppé, sous les radars des observateurs, moins précis semble-t-il que ceux des électeurs. Il est en effet peu à peu apparu à leurs yeux comme celui qui pouvait redonner du souffle à la droite. L’explication majeure tient sans doute au fait que sa personnalité a été au service de son programme, que l’on peut ainsi qualifier de « rupture tranquille ». Il proposait un changement radical, attendu par de nombreux sympathisants de droite, mais en leur donnant le sentiment rassurant qu’il ne le mettra pas en œuvre (s’il est élu l’an prochain) comme un aventurier, mais comme un pédagogue. Qu’il ne le fera pas en opposition avec les autres forces du pays, mais dans toute la mesure du possible avec elles.
Par ailleurs, le candidat Fillon a réussi à faire oublier l’image de « mollesse » du Premier ministre qu’il fut, incapable de résister aux pressions, parfois aux humiliations infligées par son ancien patron, Nicolas Sarkozy. Pour ceux qui l’ont entendu dans ses meetings, ou vu lors des trois débats télévisés organisés entre les candidats, il est apparu « habité » par une volonté, porté par une « mission ». Celle qu’il s’est donnée de redresser le pays, et qu’il a matérialisée dans un programme.
Son attitude intransigeante, son rappel constant de la gravité de la situation de la France, son sérieux assumé et son refus de la « pipolisation » ont séduit les électeurs agacés par les comportements des médias et les accommodements des autres candidats. Sa seule dérogation apparente fut de participer à l’émission Ambition intime (sur M6). Mais il y est apparu moins enclin que les autres candidats à livrer ses clés intimes, ce qui n’a sans doute pas nui à son crédit. Surtout, son ambition y a semblé davantage guidée par le désir d’aider son pays que de travailler à sa propre gloire. Il montrait ainsi que l’on peut être à la fois déterminé et modeste. Un assemblage assez rare en politique.
Le plus dur à venir
L’avenir dira si François Fillon est capable de mener à bien la mission qu’il s’est donnée. Ou qu’il a reçue ou cru recevoir, tel une Jeanne d’Arc des temps modernes. Il Iui faudra maintenant montrer aux Français impatients qu’il est le meilleur candidat « antisystème » parmi tous ceux qui affirment l’être (Le Pen, Mélenchon, Macron…). C’est ainsi qu’il parviendra à étendre son aura auprès d’une majorité des électeurs, de l’extrême droite à l’extrême gauche.
Ce sera sans doute bien plus difficile à gauche, où sa volonté de réduire le nombre et les avantages des fonctionnaires passera difficilement. De même que son programme a priori bien plus favorable aux riches (baisse des impôts, suppression de l’ISF…) et aux entreprises (baisse des charges, refonte du Code du travail…) qu’aux ménages modestes (hausse de la TVA) et aux travailleurs (stagnation ou baisse du pouvoir d’achat). Le retour à la croissance, s’il se produit, sera-t-il suivi d’une baisse sensible du chômage et d’une réduction des inégalités, à laquelle les Français sont attachés ? Avant cela, cette stratégie du billard à plusieurs bandes sera-t-elle comprise par une majorité d’électeurs ?
Le défi de Fillon, « thatchérien » ou « schröderien » selon le point de vue que l’on veut adopter, consistera à montrer, rapidement de préférence, que ce sont là les conditions d’un redémarrage de l’activité et d’un meilleur partage, in fine, des richesses. Il ne pourra le relever que si une dynamique s’installe, fondée sur une vision claire, partagée et confortée par le courage. Des ingrédients essentiels au retour de la confiance dans les politiques et à la réconciliation nationale.
Gérard Mermet
Chronique publiée le 28 novembre 2016 sur le site WEDemain.fr