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La Grande Transition

S’il est un mot qui résume bien la situation actuelle de la France, c’est celui de transition. Notre pays est en train de passer de façon accélérée d’un état à un autre, en même temps que d’un État à un autre. Il chemine de plus en plus vite d’une forme de « civilisation » à une autre, caractérisée par une vision différente du monde et de l’avenir. Au fond d’eux-mêmes, les Français en sont conscients, mais ils se demandent où va les conduire cette transition. C’est pourquoi ils sont nombreux à chercher à lui résister.

Cette demande de statu quo est exploitée par certains syndicats, partis politiques et autres organisations. Ils profitent de cette période « intermédiaire » pour tenter d’imposer leurs idées, leurs utopies, ou tout simplement retarder le processus de transformation en cours. D’autres trouvent tout cela trop compliqué, et se désintéressent des mouvements en cours. Leurs slogans, explicites ou implicites : « après moi le déluge » ou « encore une année, monsieur le bourreau ». Le bourreau peut avoir dans leurs esprits des formes différentes : l’islamisme radical ; le Front national ; le libéralisme ; l’écologie…

Tranquilles, Agiles et Fragiles : la France à trois vitesses

On peut aujourd’hui distinguer trois catégories de Français face à la « crise » à multiples facettes qui sévit depuis des années. La première est celle des Tranquilles. Ce sont principalement des actifs dont la vie professionnelle et les revenus sont peu menacés par la conjoncture : fonctionnaires ; employés des secteurs peu affectés (santé, communication, énergie, nouvelles technologies…) ou d’entreprises dynamiques, peu endettées, bénéficiant d’un carnet de commande garni. On peut y ajouter la majorité des retraités, non concernés par le chômage et disposant d’un revenu a priori garanti. Toutes ces personnes n’ont guère modifié leurs modes de vie, et continuent de « profiter » tant que c’est possible, de leur immunité relative. Même si beaucoup sont affectées par le climat général et les difficultés subies par les deux autres catégories.
Les Agiles sont des actifs qui connaissent un risque modéré, mais réel, de perdre leur emploi ou de voir leur revenu diminuer. Beaucoup ont d’ailleurs vécu à une ou plusieurs reprises ces « accidents ». Mais ils ont la chance de disposer d’une bonne formation initiale, d’une spécialité professionnelle recherchée, d’un réseau familial ou amical mobilisable, et/ou de caractéristiques personnelles qui leur confèrent une capacité de rebond : optimisme, volonté, énergie, dynamisme, mobilité…. Rebondir est a priori plus facile pour les jeunes, mais les plus âgés disposent plus souvent d’un patrimoine qui peut les aider à affronter la tempête.

Le groupe des Fragiles est composé de tous les autres ménages : ceux qui sont handicapés par une faible qualification, une mobilité géographique réduite, une situation financière déjà précaire, des contraintes familiales ou personnelles. Ceux-là doivent faire attention à leurs dépenses, et faire parfois face au surendettement. Les embellies économiques ne leur profitent guère et ils ont besoin pour survivre de l’aide de l’État et de la solidarité nationale.

La France à réinventer

Face aux crises, la France dispose certes d’amortisseurs, heureuses conséquences de quelques-unes de ses « exceptions » : un système de protection sociale généreux ; des mécanismes de redistribution efficaces ; un taux d’épargne élevé. Mais d’autres singularités nationales jouent en sens inverse. Notre pays ne profite pas autant que ses voisins et concurrents des périodes de répit ou de reprise. Le manque de clairvoyance de nos responsables politiques, notre faible culture économique et notre propension à l’affrontement retardent, amoindrissent ou interdisent les réformes et les « remises à niveau ». Enfin, notre « principe de précaution » nuit à l’innovation et l’expérimentation.

Gérard Mermet (Chronique publiée sur le site WEDemain.fr), le 9 juin 2016