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Des mots contre le terrorisme

Les optimistes espéraient que l’arrestation de Salah Abdeslam désorganiserait un peu la filière terroriste belge. Il n'en est rien, comme le montrent les attentats de Bruxelles. La folie meurtrière est intacte.

Un mot pour le dire

Il faut évidemment combattre ces nouveaux « barbares » par tous les moyens : informations, armes, arrestations, condamnations, enfermement... Mais aussi par les mots. En commençant peut-être par les nommer différemment. Le mot barbare est en effet devenu banal. Surtout, il est insuffisant pour exprimer toute la colère et le ressentiment à l’égard de ceux que l’on qualifie ainsi, et l’horreur extrême que nous inspirent leurs actes. Un barbare, c’est un « individu qui manifeste de la cruauté, qui est inhumain » (dictionnaire Larousse) ; si la première partie de la définition est adaptée, la seconde l’est moins : ces individus sont hélas des êtres humains, comme l’étaient les nazis ou tous ceux qui ont perpétré des génocides et autres massacres. Quel mot alors utiliser pour qualifier l’inqualifiable, nommer l’innommable ? Sauvages, fous, néonazis, démons, monstres ? La dernière proposition me paraît la plus intéressante : « Personne qui suscite l'horreur par sa cruauté, sa perversité, par quelque vice énorme », ou encore « Être vivant présentant une importante malformation ». Les terroristes sont des donc des monstres ; leur malformation est mentale : leurs cerveaux lavés sont en réalité très sales.

Une arme d'appoint nécessaire

Certains diront que l’on ne combat pas les monstres avec des mots, mais avec des fusils. Il est vrai que la France perd trop de temps à parler en général, alors qu’elle a tant à faire. Mais ici les paroles n’empêchent pas les actes. Elles facilitent au contraire leur préparation, en les inscrivant dans une réalité perceptible et, surtout, descriptible. C’est parce qu’ils n’ont pu que tardivement nommer la Shoah que ceux qui en sont revenus ont eu si mal, si longtemps. Il faut nommer les choses pour comprendre ce qu’elles sont, et espérer se guérir de celles qui empoisonnent la vie.

Des mots pour dire la vérité

Ce sont aussi les mots qu’il faudra utiliser pour expliquer aux terroristes que ces nouveaux attentats, pas plus que ceux qui viendront, ne changeront pas l’issue de cette guerre, qu’ils ne peuvent pas gagner, même si notre victoire demandera du temps. En attendant, les « vrais » musulmans devront aussi leur expliquer avec des mots qu’on les a lourdement trompés en leur faisant croire que mourir en tuant d’autres humains pouvait conduire au paradis. Et que celui qu’on leur a décrit, s’il existe, ne peut en toute hypothèse leur être accessible. Ils ne pourront aller qu’en enfer, s’il existe. Sinon, ils pourriront à jamais dans la terre, après avoir totalement raté leur (courte) vie. Bien sûr, les mots ne remplacent pas les actes. Mais ils sont leurs alliés. Ils peuvent être aussi par eux-mêmes des armes de dissuasion. C’est par des mots que des jeunes apparemment « normaux » sont devenus des monstres. C’est par d’autres mots que l’on devra leur faire comprendre. Avant qu’il soit trop tard.

Des mots pour résister

Les attentats perpétrés aujourd’hui nous rappellent en tout cas à la réalité, si vite oubliée entre deux drames dans nos sociétés de confort. Comme d’habitude, on va entendre l’opposition de droite dénoncer les insuffisances du gouvernement, l’extrême droite celles de l’Europe. Certains vont prôner de nouvelles mesures de contrôle, l’annulation de manifestations publiques (l’Euro de football sera un bon sujet pour eux). D’autres vont les refuser au nom de la liberté et de la dignité. Personne n’osera exprimer une vérité statistique, cynique, égoïste et socialement incorrecte : la probabilité de mourir dans un attentat est très faible, très inférieure à celle de mourir dans sa voiture ou dans un accident domestique. Il faudrait en tout cas que des voix s’élèvent, nombreuses et solidaires, pour dire qu’il ne faut pas avoir peur, qu’il est indispensable de résister, « faire avec », afin de montrer aux monstres qu'ils ne peuvent pas réussir.

Nous sommes désormais tous « Bruxelles ». Enfin presque. Comme le monde était « Charlie » en janvier puis « Paris » en novembre 2015. Ce sont encore des mots. Mais ils sont nécessaires.

Gérard Mermet, 22 mars 2016