Débloquons tout !
Et maintenant ? Au lendemain du vote de défiance contre François Bayrou, la plupart des partis politiques, médias, experts et autres « influenceurs » de l’opinion sont quasi unanimes : la situation délétère de notre pays est la conséquence (logique et donc peu discutable…) des erreurs commises par le Premier ministre. Comme son prédécesseur, François Bayrou n’aurait pas assez consulté, écouté, intégré les demandes (souvent contradictoires…) des partis politiques qui composent notre Assemblée nationale, dont le spectacle est de plus en plus affligeant.
Ces acteurs, informateurs, observateurs de tout bord sont également (et étonnamment) unis dans leur dénonciation d’un président de la République, « jupitérien » et arrogant, qui a cru pouvoir gérer la crise (sociale) des Gilets Jaunes, comme celle (sanitaire) de la Covid en ouvrant toujours plus grand le robinet de l’« argent magique ». Et ainsi largement contribué à l’endettement déraisonnable du pays. Comme d’ailleurs tous ses prédécesseurs qui, depuis plus de 40 ans, ont accumulé les déficits et placé finalement la France dans l’impasse dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.
Des responsabilités partagées
Ces responsabilités sont pour la plupart indéniables. Mais on ne se souvient guère que les présidents, députés, sénateurs et autres responsables successifs du pays ont été élus par les citoyens, ou désignés par leurs élus. Ni que la plupart d’es Français ont depuis des décennies revendiqué un accroissement continu des missions de l’État. Ils ont ainsi provoqué la hausse des dépenses, accepté (parfois salué) la celle du nombre de fonctionnaires, encouragés en cela par la majorité des syndicats. Ils ont cru de cette façon garantir la pérennité du fameux « modèle social » qui a fait la fierté de la France : éducation et santé gratuites, aides multiples à diverses catégories ; omniprésence et omnipotence de l’État-providence…
Mais ils ont en même temps refusé d’en payer le véritable prix, quitte à laisser filer la dette jusqu’à ce qu’elle devienne ingérable. C’est ainsi que le seul montant des intérêts à verser aux créanciers en 2025 sera supérieur au budget de l’éducation nationale : 67 milliards d’euros contre 63 milliards[1]. Des chiffres très inquiétants, dont il est irresponsable de minimiser l’importance. Et, bien plus encore, de l’ignorer, comme c’est le cas notamment à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Ne serait-ce que parce que la France n’est pas seule au monde, et que ses créditeurs ne sont pas des philanthropes.
Il me semble donc utile de reconnaître que la responsabilité est partagée, même si elle a été le plus souvent inconsciente de la part des citoyens. Cela s’explique en partie par le fait (constaté et quantifié par de nombreuses études[2]) qu’une large partie de la population est peu à l’aise avec les chiffres, donc avec l’économie. Et, surtout, davantage préoccupé par sa situation personnelle que par l’intérêt général, présent et futur.
De la démocratie en France
Tout cela pose le problème de la « démocratie », censée être le gouvernement du peuple par le peuple (même représenté) selon la volonté du peuple. Le système (imparfait mais a priori meilleur que tous les autres) ne peut fonctionner que si le peuple est suffisamment « éclairé ». Par lui-même (les moyens d’information sont innombrables, encore faut-il pouvoir distinguer les vraies informations des fausses). Ou par ceux qui agissent, conseillent, observent, savent, ou se posent en « experts ». Aucun ne peut prétendre connaître et dire toute la vérité. « La liberté commence où l’ignorance finit », écrivait Victor Hugo.
Le même constat d’insuffisance, parfois d’incompétence, s’applique aux élus. Même parmi ceux qui ont fait de longues études, peu s’avèrent capables de se poser des questions de « bon sens », simples et pourtant fondamentales : peut-on (durablement) dépenser (beaucoup) plus que ce que l’on gagne ? Peut-on vivre avec une économie en « 3 D » (Dépenses, Déficits, Dettes), même si cela peut donner l’impression rassurante d’embrasser tout l’espace, sans faire l’effort d’équilibrer les comptes ? Peut-on encore peser sur la scène internationale (européenne, d’abord) si l’on s’avère incapable de résoudre ses problèmes intérieurs, au contraire d’autres pays qui ont fait les efforts d’adaptation nécessaires ? La réponse est la même pour les trois questions : NON !
L’heure des actes
Le fait que les responsabilités soient partagées est un simple constat et un utile rappel. Mais il ne s’agit plus de perdre notre temps et notre énergie en désignant des coupables, pour réécrire l’histoire de façon uchronique (c'est-à-dire utopique, et fausse). L’urgence est de mettre en place des solutions pour écrire une histoire plus désirable, notamment pour ceux qui vont la vivre. Elles passent quasiment toutes par la capacité de faire mieux avec moins dans les domaines où c’est possible, en s’inspirant de ce qui s’est fait ailleurs, qui montre que c’est bien réalisable. Quitte à tirer un trait sur certaines « exceptions françaises » qui nous ont conduits au bord de l’abîme, au prétexte que nous aurions toujours raison et les autres tort.
Il nous faudra aussi accepter de dépenser plus (investir) dans certains domaines, pour construire l’avenir : environnement ; défense ; éducation ; santé ; sécurité ; recherche ; innovation… L’équation est très complexe. Elle ne pourra être résolue que si nous misons aussi sur un accroissement des recettes. En visant d’abord ceux qui auront le moins de difficulté à contribuer (les actifs et les retraités les plus aisés). Outre les rentrées que l’on peut en attendre, cela incitera tous les autres à participer, chacun selon ses moyens. C’est à mes yeux la condition du Grand Sursaut nécessaire, qui doit passer par une réconciliation nationale. Entre actifs et inactifs, jeunes et seniors, droitistes ou gauchistes, favorisés et défavorisés, progressistes et conservateurs, nationalistes et universalistes... Mais tous, il faut l’espérer, humanistes et républicains.
Un devoir d’optimisme
L’espoir d’un tel retournement existe. Les Français restent très attachés aux valeurs de notre République[3], ce qui montre qu’ils ne souhaitent pas qu’elle meure. Mais ils considèrent, à une large majorité, qu’elles ne sont pas assez mises en application dans la société actuelle[4]. Ce fort écart entre le souhaité et le ressenti résume la situation de notre pays. Il n’est pas irrémédiable si les citoyens se ressaisissent rapidement.
La France dispose en effet de nombreux atouts, qu’elle doit mobiliser : histoire ; géographie, culture ; infrastructures ; épargne ; créativité... Mais nous devons reconnaître qu’ils pèsent moins lourd que par le passé dans la compétition internationale. Et qu’ils sont freinés par des handicaps de plus en plus apparents : irréalisme ; myopie (incapacité à voir loin) ; « petisme » (manque d’ambition collective) ; goût du confort (et désaffection pour l’effort) ; culture de l’affrontement (exacerbée en ces temps de crise)…
Pour une République unie et efficace
Comme indiqué dans l’article 1 de notre Constitution, la République française doit être à la fois indivisible, laïque, démocratique et sociale. Mais elle est attaquée sur chacun de ces attributs, comme sur chacun des termes de sa devise. J’ajouterais qu’elle doit être unie, ce qui n’est pas la même chose qu’indivisible (une notion plus géographique que comportementale[5]). Et efficace, de manière à poursuivre son parcours et à assurer le bien-être de l’ensemble de sa population. Car elle est actuellement désunie et inefficace.
C’est pourquoi le mot d’ordre des mécontents (Bloquons tout !), n’a pas de sens. Le travail de sape, parfois de sabotage, a déjà été fait. Le seul slogan qui devrait nous animer est précisément l’inverse : Débloquons tout !
Gérard Mermet (tribune publiée sur le site Atlantico le 10 septembre 2025)