La curation, remède à l’infobésité
(Suite de l'article intitulé La curation, avenir de l'Humanité ?, visible sur ce blog)
Le concept de curation est une réponse nécessaire et pertinente à la difficulté croissante et inquiétante de gérer, ingérer et digérer l’information disponible aujourd’hui. Elle se caractérisée par la surinformation et, de plus en plus souvent, la désinformation . Même si sa notoriété et son utilisation progressent dans certains milieux, ce concept n'est guère compris en France. Il est donc d’abord essentiel de le clarifier, simplifier, résumer, ce qui par parenthèse est précisément le rôle de la curation. Le texte qui suit est donc le résultat d’une forme de curation appliquée à la curation !
Confusion sémantique et contenu flou
La difficulté d’installer la notion de curation vient d'abord de son nom. Repris comme très souvent de l'américain (comme s’il était nécessaire qu’il soit « validé » outre-Atlantique, même s’il a été inventé ailleurs), le mot a une tout autre signification dans notre langue. La curation, c'est la guérison, ce qui n'a a priori pas grand chose à voir (mais la curation est un remède à l’infobésité...). Un curateur, c'est quelqu'un qui se substitue à une personne incapable de réaliser certains actes. Certes, on peut penser que les curateurs modernes se substituent à beaucoup de personnes incapables d'effectuer des synthèses intelligentes et intelligibles, mais c’est une autre histoire.
A cette confusion sémantique s'ajoute à celle induite par un contenu flou. Ce constat est d'ailleurs lui aussi paradoxal, puisque l'ambition générale de cette activité récente est de rendre plus accessible l'information en en perdant le moins possible dans le processus. En compensant en tout cas la perte inévitable de quantité par un surcroît de qualité. Celle-ci est liée à la capacité de synthèse, qui permet de donner du sens en combinant des données éparses, afin de constituer un ensemble raccourci. Et surtout synergique : le résultat global doit être plus pertinent que la somme de ses composantes. Cette synergie permet de mettre en évidence des évolutions, des tendances, des comparaisons. En luttant à la fois contre la surinformation qui rend l'accès impossible à un cerveau humain et la désinformation que l'on trouve de plus en plus dans des sources subjectives, partiales et partisanes, au service d'idéologies plutôt que de la description de la "vérité" telle qu’on peut l’approcher sans idée préconçue, dans un souci d’objectivité.
On confond aussi souvent la curation avec la veille, et les (bons) planneurs stratégiques des agences de publicité peuvent prétendre à juste titre qu'ils font de la curation depuis longtemps sans le savoir, même s’ils ne vont pas jusqu’au bout du processus. On pense aussi à la compilation, ou à la simple agrégation de contenus, souvent automatique et robotisée (du type « revue de presse » basique), essentiellement constituée de simples copier-coller, qui n’ont que peu à voir avec la curation. La différence réside dans la valeur ajoutée que l'on doit attendre de cette dernière, lorsqu'elle est bien pratiquée. Il s'agit en effet globalement de donner du sens aux informations par un processus en 10 étapes, proposé ci-après.
Les 10 étapes de la curation
1. Définition du projet : thématiques à traiter; degré de précision des informations qui seront présentées; structuration, forme et "tonalité" de la présentation.
2. Recueil large et "intelligent", afin de ne pas passer à côté de sources et d’informations utiles et uniques.
3. Sélection des données les plus pertinentes par rapport à la thématique de recherche, aux destinataires, au type de restitution que l'on souhaite réalise.
4. Vérification de la qualité des données : fiabilité des sources, indépendance, mode d'obtention et de traitement des données, comparaison critique avec d'autres données de sources différentes... Il faut noter que cette étape est souvent insuffisante, voire inexistante.
5. Analyse des informations retenues, afin de mettre en évidence les enseignements de chacune d’elles.
6. Synthèse permettant de "donner du sens" à l’ensemble, tout en le réduisant au niveau de "compression" souhaité, avec un minimum de perte d'information. Cette phase est aussi parfois appelée éditorialisation, mais ce terme laisse supposer une dose de subjectivité (c’est souvent le cas des éditoriaux de la presse) qui ne convient guère aux principes de la curation, parmi lesquels l’objectivité joue un rôle essentiel.
N.B. Le parallèle peut être fait en la matière avec les modes de compression de fichiers numériques d’images, de contenus audio ou vidéo (jpeg, mp3, wav, zip,, rar...), qui permettent de conserver le maximum d’information dans un minimum de volume.
7. Structuration de l'information retenue (selon un modèle préétabli général ou ad hoc).
8. Mise en forme des éléments constitutifs : textes, infographie, audio, vidéo... C'est ce que l'on nomme maquette dans l'édition traditionnelle.
9. Diffusion sur les supports choisis (numériques ou physiques).
10. Actualisation des données. Dans un monde où le changement est permanent et accéléré, la curation doit être en effet un système cybernétique, bouclé sur lui-même, qui permet de mettre à jour les informations existantes, d’en ajouter de nouvelles. Pour être la plus utile possible, elle ne doit pas remplacer les informations, mais utiliser l’ensemble de son historique pour mettre en évidence de nouvelles évolutions et tendances.
Ces différentes étapes impliquent une participation humaine, notamment pour effectuer le travail d’analyse et sélection des données disponibles, et surtout celui de synthèse. Malgré ses capacités spectaculaires (bien plus que le data mining qui l’avait précédé), le Big Data n’est pas (encore ?) en mesure d’effectuer ce travail de façon satisfaisante. L’avantage concurrentiel des humains est renforcé par le fait qu’ils peuvent travailler ensemble, dans le cadre d’une curation collaborative, application évidente et utile de l’intelligence collective. Nous verrons dans les prochaines années si les progrès de l’intelligence artificielle modifient cette situation.
L’humain est aussi au cœur du concept et du processus de curation dans la mesure où celui-ci constitue sa finalité. Il s’agit en effet de rendre la lecture du monde accessible et fiable, afin que chaque individu soit en mesure de le connaître et de le comprendre, dans ses multiples dimensions. A ce titre, la curation est une forme de vulgarisation nouvelle qui s’adresse à « l’honnête homme (ou femme) » du XXIe siècle. Elle permet de réduire le degré de frustration inévitable par rapport à la complexité de l’époque et à la profusion de l’information.
La curation s’adresse aussi bien sûr à toutes les organisations (entreprises, États, associations, syndicats, fédérations, médias…) qui doivent prendre des décisions, en minimisant la probabilité de se tromper. Cela implique non seulement une compréhension éclairée de ce qui touche directement à leur activité, mais aussi de ce qui évolue dans leur environnement (économique, social, politique, juridique, technologique…). Il faut noter que la curation peut aussi stimuler la créativité, en mettant en évidence les mouvements du monde et des sociétés, en permettant d’anticiper les questions, besoins et attentes auxquels il faudra répondre. A tous ces titres, la curation est appelée à jouer un rôle essentiel au cours des prochaines années. Celui de « réducteur d’angoisse » dans un monde anxiogène et d’« optimisateur de décision » dans un contexte de surinformation et d’incertitude.
Gérard Mermet, 6 octobre 2015
Le concept de curation est une réponse nécessaire et pertinente à la difficulté croissante et inquiétante de gérer, ingérer et digérer l’information disponible aujourd’hui. Elle se caractérisée par la surinformation et, de plus en plus souvent, la désinformation . Même si sa notoriété et son utilisation progressent dans certains milieux, ce concept n'est guère compris en France. Il est donc d’abord essentiel de le clarifier, simplifier, résumer, ce qui par parenthèse est précisément le rôle de la curation. Le texte qui suit est donc le résultat d’une forme de curation appliquée à la curation !
Confusion sémantique et contenu flou
La difficulté d’installer la notion de curation vient d'abord de son nom. Repris comme très souvent de l'américain (comme s’il était nécessaire qu’il soit « validé » outre-Atlantique, même s’il a été inventé ailleurs), le mot a une tout autre signification dans notre langue. La curation, c'est la guérison, ce qui n'a a priori pas grand chose à voir (mais la curation est un remède à l’infobésité...). Un curateur, c'est quelqu'un qui se substitue à une personne incapable de réaliser certains actes. Certes, on peut penser que les curateurs modernes se substituent à beaucoup de personnes incapables d'effectuer des synthèses intelligentes et intelligibles, mais c’est une autre histoire.
A cette confusion sémantique s'ajoute à celle induite par un contenu flou. Ce constat est d'ailleurs lui aussi paradoxal, puisque l'ambition générale de cette activité récente est de rendre plus accessible l'information en en perdant le moins possible dans le processus. En compensant en tout cas la perte inévitable de quantité par un surcroît de qualité. Celle-ci est liée à la capacité de synthèse, qui permet de donner du sens en combinant des données éparses, afin de constituer un ensemble raccourci. Et surtout synergique : le résultat global doit être plus pertinent que la somme de ses composantes. Cette synergie permet de mettre en évidence des évolutions, des tendances, des comparaisons. En luttant à la fois contre la surinformation qui rend l'accès impossible à un cerveau humain et la désinformation que l'on trouve de plus en plus dans des sources subjectives, partiales et partisanes, au service d'idéologies plutôt que de la description de la "vérité" telle qu’on peut l’approcher sans idée préconçue, dans un souci d’objectivité.
On confond aussi souvent la curation avec la veille, et les (bons) planneurs stratégiques des agences de publicité peuvent prétendre à juste titre qu'ils font de la curation depuis longtemps sans le savoir, même s’ils ne vont pas jusqu’au bout du processus. On pense aussi à la compilation, ou à la simple agrégation de contenus, souvent automatique et robotisée (du type « revue de presse » basique), essentiellement constituée de simples copier-coller, qui n’ont que peu à voir avec la curation. La différence réside dans la valeur ajoutée que l'on doit attendre de cette dernière, lorsqu'elle est bien pratiquée. Il s'agit en effet globalement de donner du sens aux informations par un processus en 10 étapes, proposé ci-après.
Les 10 étapes de la curation
1. Définition du projet : thématiques à traiter; degré de précision des informations qui seront présentées; structuration, forme et "tonalité" de la présentation.
2. Recueil large et "intelligent", afin de ne pas passer à côté de sources et d’informations utiles et uniques.
3. Sélection des données les plus pertinentes par rapport à la thématique de recherche, aux destinataires, au type de restitution que l'on souhaite réalise.
4. Vérification de la qualité des données : fiabilité des sources, indépendance, mode d'obtention et de traitement des données, comparaison critique avec d'autres données de sources différentes... Il faut noter que cette étape est souvent insuffisante, voire inexistante.
5. Analyse des informations retenues, afin de mettre en évidence les enseignements de chacune d’elles.
6. Synthèse permettant de "donner du sens" à l’ensemble, tout en le réduisant au niveau de "compression" souhaité, avec un minimum de perte d'information. Cette phase est aussi parfois appelée éditorialisation, mais ce terme laisse supposer une dose de subjectivité (c’est souvent le cas des éditoriaux de la presse) qui ne convient guère aux principes de la curation, parmi lesquels l’objectivité joue un rôle essentiel.
N.B. Le parallèle peut être fait en la matière avec les modes de compression de fichiers numériques d’images, de contenus audio ou vidéo (jpeg, mp3, wav, zip,, rar...), qui permettent de conserver le maximum d’information dans un minimum de volume.
7. Structuration de l'information retenue (selon un modèle préétabli général ou ad hoc).
8. Mise en forme des éléments constitutifs : textes, infographie, audio, vidéo... C'est ce que l'on nomme maquette dans l'édition traditionnelle.
9. Diffusion sur les supports choisis (numériques ou physiques).
10. Actualisation des données. Dans un monde où le changement est permanent et accéléré, la curation doit être en effet un système cybernétique, bouclé sur lui-même, qui permet de mettre à jour les informations existantes, d’en ajouter de nouvelles. Pour être la plus utile possible, elle ne doit pas remplacer les informations, mais utiliser l’ensemble de son historique pour mettre en évidence de nouvelles évolutions et tendances.
Léger mal de gorge http://ipsiammonopoli.it/ Remèdes naturels contre l'asthme
Ces différentes étapes impliquent une participation humaine, notamment pour effectuer le travail d’analyse et sélection des données disponibles, et surtout celui de synthèse. Malgré ses capacités spectaculaires (bien plus que le data mining qui l’avait précédé), le Big Data n’est pas (encore ?) en mesure d’effectuer ce travail de façon satisfaisante. L’avantage concurrentiel des humains est renforcé par le fait qu’ils peuvent travailler ensemble, dans le cadre d’une curation collaborative, application évidente et utile de l’intelligence collective. Nous verrons dans les prochaines années si les progrès de l’intelligence artificielle modifient cette situation.
L’humain est aussi au cœur du concept et du processus de curation dans la mesure où celui-ci constitue sa finalité. Il s’agit en effet de rendre la lecture du monde accessible et fiable, afin que chaque individu soit en mesure de le connaître et de le comprendre, dans ses multiples dimensions. A ce titre, la curation est une forme de vulgarisation nouvelle qui s’adresse à « l’honnête homme (ou femme) » du XXIe siècle. Elle permet de réduire le degré de frustration inévitable par rapport à la complexité de l’époque et à la profusion de l’information.
La curation s’adresse aussi bien sûr à toutes les organisations (entreprises, États, associations, syndicats, fédérations, médias…) qui doivent prendre des décisions, en minimisant la probabilité de se tromper. Cela implique non seulement une compréhension éclairée de ce qui touche directement à leur activité, mais aussi de ce qui évolue dans leur environnement (économique, social, politique, juridique, technologique…). Il faut noter que la curation peut aussi stimuler la créativité, en mettant en évidence les mouvements du monde et des sociétés, en permettant d’anticiper les questions, besoins et attentes auxquels il faudra répondre. A tous ces titres, la curation est appelée à jouer un rôle essentiel au cours des prochaines années. Celui de « réducteur d’angoisse » dans un monde anxiogène et d’« optimisateur de décision » dans un contexte de surinformation et d’incertitude.
Gérard Mermet, 6 octobre 2015