Après l’intelligence artificielle, l’empathie artificielle ?
Après trois mois de grèves, de blocages, de gesticulations et de postures, aucun accord n’a pu être trouvé entre la ministre du Travail et le secrétaire général de la CGT. Le gouvernement ne pouvait donner le sentiment de reculer une nouvelle fois. Et le syndicat a manifestement décidé de l’abattre, et d’affaiblir un peu plus le Président, préparant ainsi le terrain pour Jean-Luc Mélenchon. Empêtré avec la gauche radicale, le gouvernement n’obtient pas de meilleurs résultats avec le MEDEF, qui refuse de négocier sur l’assurance-chômage. Les « partenaires sociaux » sont en réalité des adversaires.
Favoriser la responsabilité
Comment sortir de ce psychodrame national permanent qui condamne le pays à l’immobilisme et au déclin, tout en le ridiculisant aux yeux du monde ? Comment transformer l’état d’esprit pour rendre le débat et le consensus possibles ? Il s’agit rien moins que de redonner à la raison le pouvoir sur l’émotion. De discuter entre citoyens responsables et solidaires. De permettre l’examen apaisé des « avantages acquis » (et « exquis » pour ceux qui en bénéficient sans se soucier de savoir que ce sont les autres qui les financent). Mais l’évolution des mentalités est un processus particulièrement lent, que l’on ne peut pas ordonner lorsqu’il ne s’impose pas de lui-même. Et il ne le fait généralement qu’après le drame.
Pendant des siècles, le consensus était en réalité un consentement, obtenu presque par « nature ». L’appartenance à un groupe social était définie par la naissance et peu susceptible de changer au cours de la vie. Ceux qui se situaient au bas de l’échelle acceptaient d’être dirigés par ceux qui se trouvaient en haut, souvent par le simple fait d’être nés où il fallait. La religion a aussi longtemps servi de lien entre les hommes (c’est sa raison d’être, confirmée par l’étymologie du mot). La morale chrétienne et la charité commandaient ou recommandaient de se respecter plutôt que de s’étriper.
La science au secours de la raison ?
Mais la France n’est plus royaliste depuis deux siècles et elle a balayé les pratiques de l’Ancien Régime. Elle se proclame en outre athée depuis un siècle, et les croyances individuelles ne font plus guère peser la crainte d’une punition divine pour intolérance envers autrui. Que faire alors pour remplacer l’obéissance à un souverain et la crainte de l’enfer, qui assuraient tant bien que mal la paix sociale ? Faut-il faire appel à la science, pour qu’elle rende les cerveaux plus bienveillants ? La révolution numérique, qui travaille activement au développement de « l’intelligence artificielle », pourrait-elle (et devrait-elle) chercher à mettre au point une « empathie artificielle » ?
Même si elle est évidemment discutable, l’idée n’est pas a priori irréalisable. On pourrait par exemple favoriser la sécrétion d’hormones telles que l’ocytocine, dont on connaît les effets bénéfiques en matière de comportement (observé notamment chez les femmes enceintes). On pourrait aussi bombarder le cerveau d’ondes à très basse fréquence, dont on sait qu’elles sont propices à l’apaisement des relations humaines. Ou multiplier les « neurones-miroir », instruments privilégiés de l’altruisme. Il me paraît probable que les neurologues s’intéresseront (et s’intéressent déjà) à ce sujet. Ce pourrait même être l’un des grands débats éthiques du XXIe siècle, dans la perspective d’un individu qui ne serait pas seulement « augmenté » dans ses capacités physiques et mentales, comme le proposent les transhumanistes, mais « amélioré » dans sa capacité d’empathie.
On peut donc rêver d’une France où les leaders syndicaux radicalisés et les responsables politiques assoiffés de pouvoir verraient leur taux excessif de testostérone fortement réduit par l’injection d’« hormones de bienveillance ». En attendant ce jour probablement lointain et annonciateur d’autres difficultés, il faudra trouver un moyen de d’en finir avec notre culture de l’affrontement et donner la priorité à l’intérêt général.
Trois scénarios pour en sortir
Je ne vois pour le moment que trois scénarios possibles pour y parvenir (avec ou sans catastrophe), et sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons :
1- Les tensions et conflits actuels se transforment en révolution. C’est ce qui se produira si la résistance au changement et à l’adaptation finit par mettre le pays à genoux.
2- Un « leader providentiel » (et populiste) émerge, en exploitant la déception et la frustration, avec les risques considérables que cela comporte. C’est ce que laissent craindre les sondages et les comportements irresponsables des responsables politiques « traditionnels ».
3. Un candidat non extrémiste et véritablement « différent » est élu en 2017 et met en place les réformes qu’il juge nécessaires et qu’il a préalablement exposées et justifiées aux électeurs. Sa tâche serait plus aisée s’il était aidé par l’ensemble des citoyens de bonne foi, de bon sens et de bonne volonté, que l’on n’entend guère s’exprimer aujourd’hui. Réformistes de tous bords, réveillez-vous et unissez-vous !
Gérard Mermet, le 17 juin 2016 (chronique publiée sur le site wedemain.fr)