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Après le Brexit, l’Europe en deuil

Ainsi, les sondeurs britanniques se sont une fois encore trompés, trompant du même coup (de Trafalgar) le reste du monde, persuadé que le revirement mesuré ces derniers jours en faveur du remain, et les « signaux » relayés par l’ensemble des médias jusqu’au dernier moment, seraient confirmés par le dépouillement des votes. Et, surtout, que nos chers voisins n’oseraient pas, seuls dans l’isoloir, prendre le risque de cette « fuite en arrière », puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Qu’ils réfléchiraient davantage à ce qu’ils vont perdre, sur le plan économique, financier, monétaire, politique, diplomatique, environnemental, qu’à ce qu’ils espèrent naïvement gagner en cessant de cotiser à l’Union, ignorant que c’est un investissement qui sur la durée leur a beaucoup rapporté. Qu’ils se rendraient compte que ce n’est pas ainsi qu’ils vont préserver une « identité britannique » qui reste largement à définir, compte tenu des différences de plus en plus apparentes entre l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande et le Pays-de-Galles.

Mauvais calcul, mauvais coup, mauvais exemple

Mauvais calcul de citoyens aveuglés par leur insularité que de s’éloigner des rivages européens et de dériver vers l’inconnu. Mauvais coup porté à une construction vieille de près de soixante-dix ans, qui a fait ses preuves, même si elle patine depuis quelques années. Mauvais exemple enfin pour les autres membres eurosceptiques ou europhobes de l’Union qui s’interrogent sur son utilité ou dénoncent (à juste titre) ses dysfonctionnements : Pays-Bas, Danemark et Suède au Nord, Autriche, Pologne et Grèce à l’Est, Portugal, Espagne, Italie au Sud… Mais qui ont choisi de ne voir que le verre un peu moins plein (mais sûrement pas à moitié vide, si l’on s’efforce de regarder objectivement l’évolution) sans chercher vraiment à participer à son remplissage. Tous ont oublié ce que l’Europe leur a apporté, et n’imaginent pas ce qu’elle leur apportera lorsque les temps difficiles reviendront.

Ces temps difficiles, les Britanniques n’ont pas compris que leur décision collective risque précisément de les favoriser, voire de les provoquer. Partout, les partis nationalistes sont à l’affût. Ils vont demander (et obtenir) des référendums, alimenter la suspicion déjà répandue à l’égard de l’Europe en la rendant responsable de tous les maux : chômage, immigration, inégalités, endettement… Leurs discours égoïstes et haineux seront centrés sur le thème de la « souveraineté perdue ». Ils passeront sous silence, sans doute parce qu’ils n’osent pas se l’avouer à eux-mêmes, tout ce qu’ils devraient perdre en partant. À commencer par la paix, si précieuse dans un monde fragile et dangereux. Mais aussi la capacité à y jouer un rôle, et de ne pas laisser aux seuls Américains, Chinois ou Russes le soin de l’orienter à leur guise et de « vassaliser » nos vieilles démocraties fatiguées. Sans parler de la nécessiter de mutualiser la recherche ou la défense, d’harmoniser la fiscalité, d’assagir la finance, et bien d’autres choses encore qui sont hors de portée d’un pays unique, fût-il « souverain ».

Un mal pour un bien ?

L'histoire dira bien sûr si ce 24 juin 2016 est vraiment... historique. Après ce nouvel épisode du « Splendide isolement » britannique, le visionnaire Michel Houellebecq pourra écrire le tome 2 de La possibilité d’une île. Puis, peut-être, celui de Soumission, lorsque l’Europe désunie sera sous le joug d’autres puissances mal intentionnées. En attendant, c’est le rêve des fondateurs de l’Europe qui s’est envolé. Provisoirement, on peut l’espérer, car en même temps naît celui d’une nouvelle Europe, dynamique, solidaire, sans doute fédérale et de préférence « adjacente » (formant un territoire continu). C’est-dire limitée à un groupe de pays géographiquement, politiquement et culturellement proches, motivés, dont les populations ont compris que l’on est plus fort ensemble que séparément. L’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne sont les premiers candidats naturels à cette nouvelle Europe.

Après l’élargissement sans approfondissement, qui fut la première grande erreur de l’Union, il faut engager le « rétrécissement » de l’Europe. Il ne pourra se réaliser que si les citoyens des pays concernés en sont les co-créateurs, car c’est la condition pour qu’ils s’approprient cette nouvelle Europe, plutôt que d’avoir le sentiment de la subir. Dans cette hypothèse, le Brexit n’aura pas été un drame, mais une formidable opportunité, un mal nécessaire pour un bien à venir. C'est à nous de faire (en l'occurrence de refaire) l'histoire de l'Europe, au moment où certains tentent de la défaire.

Gérard Mermet, le 24 juin 2016 (chronique publiée sur le site wedemain.fr)