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Y aura-t-il un « effet Euro » ?

Avant même le début de cet Euro 2016, les Français repensaient évidemment à 1998, année magique où le pays avait remporté à domicile la Coupe du Monde de football, face au Brésil. Ils pensaient aussi à l’Euro 2000, organisé par la Belgique et les Pays-Bas, qui avait vu la victoire de la France. Sans parler de 1984, année où notre pays fut à la fois organisateur et vainqueur. Les fans de football, les journalistes et autres observateurs de la société… et les responsables politiques se demandaient donc s’il pourrait y avoir un « effet Euro » en cas de victoire de la France cette année. La réconciliation « black-blanc-beur » de 1998 serait plutôt celle des « grévistes-légitimistes-indécis ». Elle permettrait à la population de retrouver sa fierté et au pays de retrouver la raison.

Des supporters versatiles

Cela me semble malheureusement peu probable. D’abord parce que notre équipe nationale ne se trouve pas dans les meilleures conditions pour gagner. Le pays est dans une sorte de chaos provoqué et entretenu par ceux qui y ont un intérêt. J’ajouterai que, contrairement à ce que l’on imagine souvent, la passion du football ne fait pas partie de l’ADN de la France, à l’inverse d’autres pays d’Europe : Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie… Par ailleurs, l’image de ce sport est aujourd’hui gangrenée aux yeux du public par l’omniprésence de l’argent, la corruption qu’il entraîne, et la motivation parfois insuffisante de nos représentants.

L’image des Bleus n’est pas excellente non plus ; dans un sondage BVA pour la presse quotidienne régionale, ils n’obtiennent que 38% de bonnes opinions (dont 3% de très bonnes) contre 41% d’opinions négatives. Les derniers matchs de préparation n’ont d’ailleurs pas vraiment convaincu (malgré le bon résultat contre l’Ukraine). Et surtout, le match d’ouverture contre la Roumanie a été gagné par « miracle ». Ils ne partent donc pas favoris dans l’esprit des Français, même s’ils le sont pour les bookmakers anglais (devant l’Allemagne et l’Espagne). Notons cependant que ce contexte n’est pas rédhibitoire. La ferveur populaire n’était guère présente non plus au début du Mondial de 1998 ; Aimé Jacquet en avait bien plus souffert que Didier Deschamps aujourd’hui.

Un environnement plus difficile

Mais la situation n’est pas comparable à celle de 1998 ou 2000. Le temps a passé, la déception, la frustration et la colère se sont accumulées dans la société. Il ne s’agit plus seulement de combler le fossé entre les Français différents par leurs origines, leurs couleurs de peau, leurs religions ou leurs comportements, mais aussi de rétablir le dialogue entre les « réformateurs » et les « conservateurs », de renouer le contact entre le peuple et les dirigeants (politiques, économiques, syndicaux…).
Une analyse rétrospective de certains indicateurs pendant et après les moments de liesse footballistique permet de savoir si l’impact sur l’état d’esprit des Français a été durable. Prenons par exemple la popularité des responsables politiques de l’époque Entre mai et août 1998, la confiance dans le Président Jacques Chirac avait progressé de 11 points, celle de son Premier ministre Lionel Jospin de 13 points. Mais Jacques Chirac avait reperdu 7 points entre août et octobre, Lionel Jospin 11 points, malgré un contexte économique très favorable.

Un moral qui va et qui vient
On peut aussi s’intéresser au « moral des ménages ». Cet indicateur global est la moyenne arithmétique de la perception par les Français des évolutions récentes et des perspectives d’avenir dans trois domaines : niveau de vie en France, situation financière personnelle, opportunité d’acheter. Il avait augmenté de 6 points en 1998, et la consommation des ménages avait été la plus élevée depuis plus de 10 ans : + 3,4 % en volume. Mais elle avait commencé en janvier 1997, bien avant le mondial, et avait été favorisée par la hausse du pouvoir d’achat et la baisse du chômage. On note en tout cas que cette hausse du moral a été continue jusqu’en 2001, avant d’être interrompue par les événements tragiques du 11 septembre 2001.

Dans la situation inverse, lors des débâcles des Coupes du monde de 2002 et 2010 (la France éliminée au premier tour dans les deux cas), les conséquences avaient été heureusement éphémères. Même constat également en juillet 2005, après l’annonce du rejet de la candidature de Paris aux JO de 2012, pourtant perçue comme une catastrophe nationale sur le moment. On pourrait enfin évoquer les attentats de janvier et novembre 2015 ; après la forte émotion nationale, qui avait laissé espérer une union sacrée et durable des Français, la culture de la confrontation avait vite repris ses droits.

On peut toujours rêver

Tout bien pesé, il me paraît donc vain d’attendre aujourd’hui un « effet Euro » dans l’hypothèse d’une victoire de nos représentants à l’Euro. Il faut seulement espérer que la compétition se déroulera sans drame (ce qui n’a pas été le cas samedi à Marseille). Que nos joueurs se comporteront avec dignité. Que les Français passeront de bons moments et laisseront de côté pour un temps leurs soucis et leurs différends. Il faut aussi souhaiter que les étrangers présents sur notre sol oublieront autant que faire se peut les lamentables dysfonctionnements qu’ils ont subis en arrivant. Et qu’ils inonderont cette fois les réseaux sociaux de textes, images, vidéos expliquant que la France n’est pas si mal.

Cela n’interdit pas enfin de rêver que les leaders des mouvements sociaux soient touchés par la grâce footballistique et reviennent à de meilleurs sentiments et comportements. Ni que les leaders politiques se décident à gouverner vraiment, en rétablissant une relation de confiance avec les Français.

Gérard Mermet, le 14 juin 2016 (chronique publiée sur le site wedemain.fr)