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L’union nationale n’est pas un piège, mais une solution

La stratégie des terroristes islamistes est simple et claire. Elle consiste à tuer au nom d’Allah et provoquer (ou révéler lorsqu’ils sont latents) des réflexes anti-musulmans dans les pays visés, au premier rang desquels se trouve la France. Au-delà de la « guerre de religions » qu’elle cherche à déclencher, cette stratégie vise plus largement à diviser la société pour la rendre encore plus friable et faible. Pour casser ce qui reste du « vivre ensemble », afin de créer les conditions d’une guerre civile. Le pays sera alors mûr pour la soumission et l’allégeance à celui qui viendra conquérir ce qu’il en reste.

Le double piège

Nos responsables politiques sont suffisamment intelligents pour le savoir. C’est pourquoi ceux qui sont au pouvoir en appellent, avec raison, à l’union nationale. Mais ceux qui sont dans l’opposition considèrent que c’est un piège qui leur est tendu, plus dangereux à leurs yeux que celui du terrorisme. C’est une faute d’appréciation grave, pour le pays comme pour eux.

La difficulté d’envisager l’union nationale, déjà improbable en temps « normal » dans notre pays, est encore accrue en période préélectorale. Un moment où chacun considère qu’il doit impérativement s’opposer à ses adversaires plutôt que leur tendre la main. Ainsi, le pouvoir appelle à l’unité et à la responsabilité, en cherchant à profiter de l’occasion pour museler l’opposition. Et l’opposition cherche à profiter de l’occasion pour mettre le pouvoir en difficulté. En dénonçant son incapacité à assurer la sécurité des citoyens. En se lançant dans une surenchère de mesures qui permettraient selon elle de réduire ou même de supprimer le risque terroriste. Difficile, dans la situation actuelle, de donner raison à ceux qui refusent la main tendue, quelque soit le côté où ils se situent. Leur attitude est inacceptable d’un point de vue moral. Elle est en outre inefficace d’un point de vue politique.

Les citoyens raisonnables savent en effet que personne ne peut garantir la sécurité dans un contexte où les attaques peuvent survenir à tout moment, en tout lieu, par tout moyen. Pourtant, les censeurs jouent dangereusement avec les émotions et les peurs de la population. Ils cherchent à leur faire croire qu’il suffirait de renforcer les dispositifs sécuritaires, d’interdire ou d’annuler les manifestations de toute sorte (sportives, culturelles…), d’être « inflexibles » plutôt que « laxistes ». Cela reviendrait à supprimer les libertés au prétexte de les garantir. Cela rendrait la vie individuelle insupportable, et la vie collective impossible. Et cela n’empêcherait pas des terroristes d’aller assassiner des gens chez eux, comme ils l’ont fait récemment avec un couple de fonctionnaires de police près des Mureaux, le 13 juin dernier.

Le terrorisme low cost a de l’avenir

Les récents attentats, tant en France qu’en Allemagne, ont montré que l’assassinat d’une seule personne (un prêtre ou des particuliers) mobilise presque autant l’attention des médias (et donc de leurs publics) qu’un attentat massif, comme ceux de Nice ou du Bataclan. Il déclenche peut-être même des peurs encore plus fortes et durables dans la population, qui sait désormais qu’elle n’est à l’abri nulle part : pas plus en province qu’à Paris, pas plus en petit comité qu’au milieu d’une foule.
Les terroristes, qui semblent « tester » ces différentes façons de procéder dans les pays développés, l’ont bien compris. Nul besoin de moyens sophistiqués, d’armes lourdes, de logistiques complexes, ni d’hommes surentraînés. Le terrorisme low cost, mis en œuvre spontanément sur le terrain par des « soldats » autonomes, que l’on n’a pas besoin de former mais seulement d’influencer et que l’on peut « récupérer » après coup, s’avère très efficace. Il est en outre moins prévisible et repérable par les services de renseignement de l’ennemi. Il a donc sans doute de beaux jours devant lui.

Enfermer ?

Faut-il alors, comme le demandent certains, assigner à résidence ou emprisonner tous ceux qui sont « en voie de radicalisation » ou qui ont fait l’objet d’un « signalement » ? Cela impliquerait d’abord de définir précisément et juridiquement où commence la radicalisation, ce qui semble bien difficile. Qu’en serait-il aussi de la liberté individuelle de pensée et d’expression, pour laquelle les Français ont défilé après les attentats de janvier 2015, en proclamant « Je suis Charlie » ? Cela nécessiterait aussi de construire en urgence des prisons (aujourd’hui surpeuplées et foyers de radicalisation), des camps de détention spécifiques (inexistants) ou des lieux de « déradicalisation » (balbutiants). Tout cela bien sûr avec les impôts des Français, et les dettes de leurs enfants.

Cela ferait aussi le jeu des terroristes, qui poursuivent aussi un objectif de destruction économique. Il consiste à affaiblir l’ennemi en l’obligeant à dépenser toujours plus pour sa sécurité, et en réduisant ses recettes (notamment touristiques). C’est-à-dire à s’endetter et, in fine, à se mettre en situation de faillite.

Renvoyer, exécuter ?

Faut-il plutôt renvoyer chez eux les étrangers suspects ? Mais la plupart sont français, ou disposent d’une double nationalité. Faut-il alors les déchoir de la nationalité française ? Et revenir ainsi au ridicule débat que nous avons subi pendant des mois, qui s’est terminé dans une impasse, pour des raisons principalement politiques ? Impossible et surtout inutile, car les terroristes se moquent bien de cette « menace » brandie par un pays qu’ils abhorent.
Faut-il enfin restaurer la peine de mort, comme le souhaitent des extrémistes de droite ? Ce serait remettre en cause notre morale, qu’elle soit (collectivement) laïque ou (individuellement) religieuse. Et nous rabaisser au niveau de ceux qui considèrent que la vie des autres (les « mécréants ») n’a aucune valeur. Une méthode inacceptable dans une société laïque, pour laquelle le mot mécréant n’a pas de sens. Et, bien sûr, cela n’aurait aucun effet dissuasif auprès de terroristes pour qui la mort contre l’ennemi est synonyme de victoire et de félicité.

L’union nationale, seule voie possible

Après avoir évoqué ce que nos responsables politiques ne peuvent et ne doivent pas faire ou proposer, quelques suggestions sur ce qu’ils pourraient ou devraient faire ou proposer :

. Placer l’intérêt général systématiquement au-dessus de leurs intérêts personnels ou partisans. Car la Patrie est (vraiment) en danger.

. Écouter le peuple qui leur demande instamment de cesser leurs gesticulations et querelles stupides et dommageables. Des enquêtes innombrables et récurrentes le démontrent.

. Comprendre qu’il est très grave de refuser l’union nationale réclamée par le peuple, au prétexte que ce serait un piège dont ils sortiraient perdants. Ils en sortiraient au contraire grandis, peut-être même guéris de leur hémiplégie idéologique. En tout état de cause, les électeurs ne leur pardonneront pas d’être les complices objectifs du terrorisme.

. Comprendre enfin, qu’en continuant de dévaloriser la politique, ils rendent le pays encore moins gouvernable, encore moins réformable, encore plus proche d’un affrontement civil. Et qu’en faisant le jeu du terrorisme, ils font aussi celui du populisme.

Gérard Mermet, juillet 2016 (chronique publiée sur le site WEDemain.fr)