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Faut-il être optimiste ou pessimiste ?

C’était mieux avant et ce sera (encore) moins bien demain. Tel est le sentiment de la majorité des Français, mesuré dans de nombreuses enquêtes. Dans l’une des dernières en date (Ifop-Fiducial pour Paris-Match et Sud Radio, réalisée entre le 16 et le 20 septembre 2016), 70% se disaient pessimistes face à l’avenir pour eux et leurs enfants, 30% seulement optimistes. Une évolution spectaculaire en un an, puisque le rapport des « forces » était à l’équilibre en août 2015 : 50% contre 49%. 68% des Français estiment aujourd’hui que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, contre 14% de l’avis contraire. Une certitude inquiétante, qui traduit davantage la résignation que la volonté de faire triompher le « progrès », quel que soit le sens qu’on lui donne. De nombreuses études internationales montrent en outre que nous détenons le record mondial (peu enviable, et récurrent) du pessimisme.

Le France bashing, sport national

Le dénigrement systématique du pays, en forme de défoulement collectif) est une activité très pratiquée dans le monde. L’Angleterre s’en est fait depuis longtemps une spécialité. Mais c’est indéniablement chez nous qu’il est le plus présent. Chaque Français trouve de bonnes raisons de penser et d’affirmer que son pays est en déclin. Il est aidé en cela par les médias, les intellectuels, les responsables politiques de l’opposition, les syndicats et tous ceux qui manifestent à tout propos leur mécontentement, sans le « relativiser » par rapport aux difficultés qui existent dans des pays plus positifs et moins grincheux.

Pessimisme, défaitisme, déclinisme, catastrophisme, misérabilisme, paupérisme sont ainsi devenus des réflexes nationaux, mais aussi des « identifiants » de la France et de sa population vus de l’étranger. Qu’en est-il vraiment ? Y aurait-il une fatalité de notre pays à s’enfoncer dans le malheur, ou plutôt un déni collectif de ses atouts pour inventer un futur désirable ? Le côté apparent de nos faiblesses cache-t-il le côté obscur de nos forces ? Le débat entre les optimistes (ceux qui s’attendent au « meilleur », du latin optimus) et les pessimistes (ceux qui s’attendent au pire, du latin pessimus) n’est pas une donnée de nature. C’est le résultat acquis d’un d’état d’esprit, qui est fortement induit par l’environnement socio-économique, la perception qu’on en a et la description qu’on en fait.

Côté face, des performances économiques en retrait...

Si l’on s’efforce de regarder la réalité en face, il faut bien reconnaître que nos performances en matière économique ne sont guère encourageantes : chômage élevé (plus d’un actif sur dix) ; endettement préoccupant (une année de PIB); prélèvements obligatoires paralysants sur les ménages et les entreprises (46% du PIB, soit près de la moitié de la production annuelle)… Les indicateurs ne sont pas au vert dans l’absolu. Ils ne le sont pas davantage en comparaison avec les autres pays développés.

Les difficultés de la France tiennent aussi à sa complexité administrative, parfois kafkaïenne, malgré le « choc de simplification » maintes fois promis. L’illustration, spectaculaire, en est donnée par l’épaisseur de notre Code du travail (plus de 3 800 pages, hors conventions collectives), contre moins de 500 pages par exemple en Suisse (y compris le Code du commerce !). Le nombre des textes de loi est à l’avenant : en quarante ans, le Journal Officiel est passé de 13 000 pages à près de 23 000, soit une augmentation de 75%. L’instabilité administrative et fiscale est aussi un casse-tête pour les citoyens comme pour les chefs d’entreprises.

La conséquence est une baisse sensible de l’attractivité de la France, comme en témoignent de nombreux classements internationaux impitoyables même s’ils sont parfois discutables : le nombre des projets d'investissements étrangers dans l'Hexagone a reculé de 2% l'an passé, alors qu’il a progressé de 14% en moyenne dans les pays de l’Union européenne (étude cabinet EY) ; la France n’arrive qu’en 29e position sur 190 pays en ce qui concerne le « climat des affaires pour les PME » (Banque mondiale), etc. Le diplôme de compétitivité ou d’attractivité ne s’obtient pas en passant un examen, mais en réussissant un concours.

… et un délitement du « modèle républicain »

Les difficultés de la France sont également indéniables en matière sociale, avec la montée mesurable de certaines inégalités : revenus, patrimoines, accès à l’éducation, à la santé, aux loisirs, aux outils numériques… Elles montrent l’existence d’une France à plusieurs vitesses, voire de plusieurs France, qui s’éloignent de plus en plus les unes des autres. Le « modèle républicain » ne tient plus ses promesses d’égalité et de fraternité. Quant à celle de liberté, elle est entamée par les menaces qui pèsent sur la sécurité des citoyens. Ce modèle à bout se souffle tend à être remplacé, par défaut, par un « bricolage » communautariste » qui fournit tant bien que mal des appartenances, mais qui exacerbe les tensions et radicalise les positions.

Il en résulte une très grande difficulté à adapter, réformer, transformer le pays pour qu’il redevienne « compétitif ». Le coût du travail français reste ainsi plus élevé d’environ 10% par rapport à celui de l’Allemagne, de près d’un tiers par rapport à l’Italie, de plus de moitié par rapport à l’Espagne. Le taux d’imposition des profits des entreprises est de dix points supérieur à la moyenne européenne (33% contre 23%). Le dialogue social est perturbé par la culture de l’affrontement présente à tous les niveaux, par l’impact des grèves (dans le secteur public notamment) et par la propension au repli des dirigeants qui ne veulent pas prendre de risques. L’écotaxe a été supprimée à la suite des protestations de quelques milliers de personnes. L’aéroport de Notre-Dame des Landes est en attente de construction depuis plus de 40 ans, et le feuilleton continue, malgré les décisions de justice ou les référendums favorables, à cause d’une poigné d’opposants prêts à tout.

Côté pile, des points de levier nombreux… »

La mise en exergue des faiblesses du pays ne doit pas occulter ses atouts et ses forces, qui n’en sont pas moins réels. Ils résident d’abord dans la géographie : la France jouit d’une situation géographique privilégiée, au centre de l’Europe, figure géométrique quasi parfaite et équilibrée entre terre, mer et montagne. Le pays est aussi ancré dans une histoire longue et riche, qui lui a donné une aura, de l’expérience et de la résistance. Elle bénéficie d’une démographie très favorable par rapport à la plupart des voisins européens, Allemagne et Italie en tête.

La France reste aussi un pays de culture, conséquence d’un patrimoine exceptionnel. Elle est réputée pour la qualité de la formation de ses habitants et leur niveau de qualification professionnelle. Ses talents dans les matières quantitatives (utiles dans l’économie numérique) sont largement reconnus, comme en témoignent les nombreuses récompenses obtenues par des chercheurs, notamment en mathématiques. Elle porte en elle une capacité d’innovation qui a fait ses preuves dans le passé (photographie, automobile, aviation, chimie…) et qui peut être mobilisée et encouragée. La french touch est aujourd’hui célébrée dans le monde entier. L’économie nationale est tirée par quelques grandes entreprises leaders dans certains secteurs : luxe, construction, énergie…

… et une qualité de vie reconnue et enviée

La France se distingue aussi par son niveau élevé d’épargne, proche de 15% du revenu disponible. Elle dispose d’infrastructures et d’équipements collectifs nombreux et fonctionnels (routes, canaux, réseaux ferrés, ports, équipements de loisirs, réseaux informatiques…). Elle bénéficie de services publics de qualité (écoles, hôpitaux, justice, forces de sécurité…). Même s’il a un coût élevé, son « modèle social » joue un rôle amortisseur dans les périodes de crise, par le bais de la redistribution des richesses et des aides diverses versées aux plus démunis.

Il faut enfin bien sûr mentionner la qualité de vie à la française. Plus sans doute que par les Français eux-mêmes, elle est célébrée dans de nombreux pays, où l’expression « heureux comme Dieu en France » est courante (souvent attribuée à l’écrivain allemand Friedrich Sieburg, elle est en réalité la traduction du yiddish, langue des juifs ashkénazes, qui avaient été émancipés par la France au XIXe siècle).

Le devoir de réalisme

Le bilan global des forces et des faiblesses de la France, de ses atouts et des menaces qui pèsent sur elles est évidemment en partie subjectif. Il nécessite une pondération de chacune de ces composantes, qui ne peut être que le résultat d’une appréciation. Celle-ci passe par un filtre personnel, souvent en forme de prisme déformant. Il n’existe pas en tout cas de fatalité de l’échec et de la dégradation. Le catastrophisme et le déclinisme sont des prophéties de malheur autoréalisatrices. Elles aboutissent un jour ou l’autre à mettre en œuvre ce que l’on redoute, sans même en être conscient. Et elles nourrissent un peu plus la spirale du malheur.

Le débat récurrent sur le pessimisme et l’optimisme est ainsi un leurre, une façon de détourner les esprits, d’opposer les visions et d’empêcher l’action. Les attitudes à privilégier sont le réalisme, la lucidité et, dans toute la mesure du possible, d’objectivité. Mais la réalité est complexe, multiple, ambigüe. Cela implique de ne pas se voiler la face, de ne pas « tordre » les faits lorsqu’ils ne sont pas conformes à ce que l’on souhaite, de ne pas s’apitoyer sur son sort lorsqu’il n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend. Il faut au contraire chercher à l’améliorer soi-même, à sa mesure, par son action individuelle et sa participation à l’action collective. Et cesser de désigner des responsables et des coupables (dirigeants politiques, immigrés, musulmans, technocrates européens…) en s’exonérant de sa propre responsabilité. En se donnant des prétextes pour attendre, tout en continuant de se lamenter.

L’optimisme utile, le pessimisme autodestructeur

Georges Bernanos écrivait avec humour : « les optimistes sont des imbéciles heureux ; quant aux pessimistes, ce sont des imbéciles malheureux ». Mieux vaut dans ces conditions être optimiste, si cela rend vraiment heureux, ce qui paraît probable. D’autant que l’on sait que le bonheur se diffuse par « contagion ». Il participe ainsi à la création d’un cercle vertueux de plus en plus large. A l’inverse, le pessimisme peut engendrer l’immobilité, par la sidération et la peur de ce qui pourrait advenir. Mais le pessimiste n’est pas inutile pour autant. Il est une sorte de « lanceur d’alerte » qui prévient de l’arrivée cialis sans ordonnance possible de la catastrophe, si rien n’est entrepris pour l’éviter. A condition qu’il se sente heureux (au moins un moment) après s’être trompé dans ses prédictions.

Pour autant, il n’est pas nécessaire d’être un « imbécile », selon le mot de Bernanos, qui ne comprend rien aux réalités du monde et réagit avec ses émotions ou ses impressions plus qu’avec sa raison. Dans son Dictionnaire des idées reçues, Flaubert écrivait lui-même, à l’entrée Optimiste : « équivalent d’imbécile ». Mais c’est sans doute Valéry qui a résumé le plus important : « L’optimiste et le pessimiste ne s’opposent que sur ce qui n’est pas ». Ces deux attitudes opposées sont en effet des paris sur un avenir que nul ne peut connaître et que chacun doit contribuer à inventer. Aucun des deux ne peut donc avoir tort, ou raison. Le pessimiste doit seulement se réjouir d’avoir prévu le pire s’il n’est pas advenu, et l’optimiste se désoler de ne pas avoir pu faire prévaloir sa vision si elle a été contredite par les faits.

Une leçon pour la France

Pourquoi alors les Français sombrent-ils depuis des années dans le pessimisme ? Parce qu’ils savent que leur pays se porte objectivement moins bien dans certains domaines essentiels à leur contentement : emploi ; éducation, sécurité ; égalité… Parce que, surtout, ils sont conscients que la France recule par rapport à ses voisins. Parce qu’ils s’inquiètent de la perspective de laisser à leurs enfants un douloureux héritage. Parce que beaucoup sont accablés de constater que l’image de la France s’est sensiblement détériorée, quoi qu’en disent ceux qui sont censés l’entretenir ou la restaurer. Parce que, surtout, on ne leur propose pas une vision claire et motivante d’un avenir commun et d’une réconciliation nationale.

Les ressorts du pays sont pourtant nombreux, mais certains semblent aujourd’hui cassés. Ses atouts sont indéniables, mais certains semblent devenus des handicaps. Ainsi, la capacité individuelle de mobilisation est surtout utilisée pour manifester contre les projets de réformes. L’imagination nationale sert davantage à créer de la complexité qu’à inventer des solutions et proposer une vision claire de l’avenir. Le goût du débat, la culture de l’affrontement et l’énervement ambiant empêchent les débateurs de s’écouter, de s’entendre, de s’unir et d’agir ensemble.

La France ne pourra sortir de ces difficultés qu’en transformant sa mentalité collective. Cela signifie demander ou au moins accepter les changements, réformes et adaptations nécessaires, qui pour la plupart auront un prix avant de produire un bénéfice. Ils ne pourront être définis et mis en place sans la la participation de citoyens responsables. Ni sans la création de majorités d’idées, transpartisanes, tolérantes et désireuses de à réinventer la France. C’est au total d’une révolution culturelle que la France a besoin.

Gérard Mermet

Chronique publiée le 18 novembre 2016 sur le site WEDemain.fr